L'Eglise et le quartier de Saint-Germain-des-Prés

L'église et le monastère de Saint-Germain des Prés remontent, comme l'église cathédrale de Notre-Dame dans la Cité, et comme l'église collégiale de Saint-Germain-l'Auxerrois sur la rive droite, aux plus anciennes époques de la monarchie mérovingienne, c'est-à-dire à Childebert Ier et à Ultrogothe, sa
 

 
Saint-Germain-des-Prés. L'église au 15e siècle
femme, qui régnèrent à Paris de 511 à 538.

Childebert, revenant d'une expédition contre les Wisigoths, rapporta d'Espagne comme trophées de sa victoire la tunique de saint Vincent, une croix d'or et de pierreries conquises à Tolède, et des vases qui passaient pour avoir appartenu à Salomon. Par le conseil de saint Germain, premier évêque de Paris, il construisit, sur l'emplacement d'un ancien temple consacré à Isis et pour recevoir et garder les saintes reliques, une église et un monastère à l'extrémité occidentale des jardins dépendant du palais des Thermes. Le jour même de la mort de Childebert, en 558, saint Germain dédia la nouvelle église sous le titre de Saint-Vincent-et-Sainte-Croix, et il fut lui-même inhumé dans l'oratoire qu'il avait fait bâtit au midi de l'édifice sous l'invocation de Saint-Symphorien, lorsqu'il mourut en 596.

Aux VIIe et VIIIe siècles, l'église était encore désignée sous le nom de Saint-Germain et Saint-Vincent et était alors décorée de mosaïques d'or et possédait une couverture en métal. En 754, le corps de Saint Germain, exhumé de l'oratoire, fut déposé dans l'église, qui bientôt ne fut plus désignée que sous le seul nom de Saint-Germain, et devint la sépulture des rois; des princes et des reines de la dynastie mérovingienne.
Ravagée par les Vikings en 845, 856 et 861, reconstruite par l'abbé Gozlin, puis encore livrée en proie aux pirates, elle ne se releva de ses ruines qu'aux XIe et XIIe siècles, et le pape Alexandre III, qui en fit la dédicace le 21 août 1163, déclara qu'elle ne relèverait que du saint-siège.
L'abbaye demeura longtemps isolée sur le versant méridional du petit Pré aux Clercs; les hautes murailles élevées autour du couvent en 1239 par Simon, abbé de Saint-Germain, devinrent en 1368 de véritables fortifications par ordre de Charles V qui, en guerre avec les Anglais, craignait une surprise de leur part contre les faubourgs de Paris; en même temps fut creusé un petit canal large de huit à onze toises et profond de cinq toises, qui mettait les fossés de l'abbaye en communication avec la Seine. Ce canal, appelé la petite Seine ou la Noue, et qui séparait le petit Pré aux Clercs du grand, comblé vers le milieu du XVIe siècle, devint ensuite la file des Petits-Augustins, puis la rue Bonaparte.

A la même époque, l'enceinte de l'abbaye, qui s'étendait sur la rue de l'échaudé à l'est, la rue Sainte-Marguerite (Gozlin) au midi, la rue Saint-Benoît à l'ouest, et la rue Jacob au nord, fut démantelée, et les terrains qu'elle circonscrivait se couvrirent rapidement de constructions privées. Deux des anciennes portes par lesquelles on y pénétrait, celles de Sainte-Marguerite et de Saint-Benoît, subsistaient encore au XIXe siècle; elles ont été emportées, ainsi que les rues
 

 
Portail de Saint-Germain-des-Prés
d'Erfurt, de Childebert et Sainte-Marthe, qui dessinaient une sorte de cloître autour de la place Saint-Germain des Prés, par le percement de la rue de Rennes.

Il ne reste de l'abbaye et de ses dépendances que des fragments épars car l'église elle-même, privée des sépultures mérovingiennes qui, après avoir été violées et dispersées, se trouvent aujourd'hui réunies dans les caveaux de l'abbaye de Saint-Denis, a été cruellement mutilée. Trois fois brûlée et ruinée par les Normands, elle fut rebâtie aux frais du roi Robert dans les premières années du XIe siècle (1001 à 1014), quoiqu'elle n'eût été achevée que longtemps après. Elle demeure, dans ses parties les plus anciennes, plus âgée d'environ deux siècles que Notre-Dame de Paris.

L'architecture de l'église Saint-Germain-des-Prés marque une époque fort intéressante dans l'histoire de l'art, celle où, à côté du plein cintre roman, commence à poindre l'ogive. Le plan de ce vénérable sanctuaire est une croix latine dont les croisillons ou transepts, datant du XIIIe siècle, sont extrêmement courts relativement à la longueur de la nef, 21 mètres sur 65; sa hauteur est de 19 mètres. L'extrémité orientale est circulaire, et autour du rond-point rayonnent cinq chapelles également circulaires. La nef, accompagnée de bas côtés, se partage dans sa longueur en cinq travées. Ses piliers sont carrés, et flanqués, sur chaque face, d'une colonne engagée. Les arcades en plein cintre qui les unissent sont ornées d'un tore élégant sur l'arête. Sur les chapiteaux, qui soutiennent les arcs latéraux de la nef, d'un travail assez barbare, on a représenté des figures entières, des monstres et des plantes exotiques. Cette partie de l'édifice est la plus ancienne. Elle a été refaite, depuis l'abbé Morard, son premier constructeur, sous Robert II, d'abord de 1644 à 1653 (ce fut alors qu'on pratiqua des ailes sur les deux côtés, et qu'une voûte remplaça le vieux lambris qui couvrait les murs), puis de 1820 à 1824, et restaurée encore une fois sous Napoléon III. Les chapiteaux ont été refaits pour la plupart sur le modèle des anciens, qui sont conservés, au nombre de douze, dans la grande salle du palais des Thermes.

Le choeur a gardé intact le style du XIIe siècle, époque de transition, où le cintre et l'ogive se trouvent en présence (les fenêtres de la claire-voie sont à ogives). Au-dessus du choeur règne une galerie dont les baies sont supportées par des colonnes couronnées par un entablement horizontal, presque toutes en marbres rares et les autres en pierres; leurs chapiteaux sont admirés des connaisseurs; ils représentent le plus étrange fouillis de têtes humaines, de lions, de harpies, de branches de feuillages et d'oiseaux. La nef, entre le porche d'entrée et le transept, n'est éclairée que par les hautes fenêtres percées dans le mur du midi, tandis que la muraille du nord est pleine, les jours, s'il en exista jamais de ce côté, étant bouchés par l'une des ailes non démolies de l'ancien cloître, qui s'applique exactement au côté gauche de l'église.

A l'intérieur de Saint-Germain des Prés, on voit, dans une chapelle de gauche le tombeau du roi de Pologne Jean-Casimir Sobieski, mort abbé de Saint-Germain des Prés en 1672; dans une chapelle de droite le tombeau d'Olivier et Louis de Castellan, tués au service de Louis XIV; un peu plus loin, la chapelle des Douglas, princes d'écosse. Une double plaque de marbre noir, érigée en 1819 par les soins de l'Académie française, renferme les épitaphes de Nicolas Boileau, de René Descartes, de Dom Jean Mabillon et de Dom Bernard de Montfaucon, dont les restes, recueillis par Alexandre Lenoir au Musée des
 

 
L'église Saint-Germain-des-Prés
Petits-Augustins, furent déposés à Saint-Germain des Prés après la suppression du musée.

Au cours de sa dernière restauration ( XIXe siècle), l'église entière a subi une nouvelle et entière restauration. La flèche a été reconstruite en entier et on a repris en sous-oeuvre la tour, que les archéologues regardent comme un débris de l'édifice élevé du temps de Childebert. La voûte et les murailles ont été peintes de diverses couleurs, sous la direction de l'architecte Baltard. Cette décoration polychrome, qui rappelle la décoration de la Sainte-Chapelle, s'applique même aux colonnes, dont les chapiteaux sont dorés. Tout autour du choeur et de la nef, sur les murailles, les piliers et les voûtes, Hippolyte Flandrin, le plus célèbre des élèves d'Ingres, a peint à la cire une suite de compositions tirées de l'Ancien et du Nouveau Testament.
Cet artiste distingué, et pénétré de la foi chrétienne qui guidait ses pinceaux, mourut en 1864 avant d'avoir complété son oeuvre en peignant les croisillons du transept; Alexandre Hesse et Sébastien Cornu ont achevé cette partie de la décoration générale. Un monument en marbre blanc, exécuté par le sculpteur Oudiné, surmonté du buste d'Hippolyte Flandrin, a été érigé par ses admirateurs et ses amis dans le bas côté septentrional, qui n'a ni fenêtre ni chapelle.

Saint-Germain des Prés ne possède plus un seul vitrail ancien; les fenêtres sont garnies de verres légèrement teintés qui n'arrêtent pas la lumière ambiante. C'est une surprise toujours nouvelle, pour les visiteurs habitués à voir les vitraux des églises catholiques réfléchir les rayons colorés sur des murailles blanches et nues, d'apercevoir l'effet inverse dans l'église de Saint-Germain des Prés, où les fenêtres versent la lumière blanche sur des murailles colorées.

A l'extérieur, la vieille église s'annonce par un porche mesquin, construit au XVIIe siècle et surmonté d'une grosse tour carrée, entourée de deux squares, qui alourdit l'impression d'ensemble de l'église Saint-Germain-des-Prés, mais qu'il faut admirer aussi de l'extérieur pour en apprécier la beauté. A son plus haut étage, deux baies cintrées du XIIe siècle, accompagnées de colonnes, s'ouvrent sur chacune de ses quatre faces et laissent échapper les vibrations de ses cloches sonores; terminée par une haute flèche couverte en ardoises, la tour de Saint-Germain des Prés, avec ses arceaux romans, domine majestueusement cette région de Paris, qui est née et s'est développée sous son ombre. Un souvenir curieux s'y rattache : le 2 novembre 1589, Henri IV, assiégeant Paris, monta au sommet de
 

 
Le palais de la rue de l'Abbaye
la tour, accompagné d'un seul religieux, pour examiner la situation de la ville; il fit ensuite le tour du cloître sans entrer dans l'église, et se retira sans dire un mot.

Dans les angles du choeur et du transept, on aperçoit à droite, du côté du boulevard Saint-Germain, et à gauche, du côté de la rue de l'Abbaye, deux masses carrées, s'arrêtant à la naissance de la voûte: c'est la base des deux autres tours, qui donnaient une physionomie originale à Saint Germain des Prés et l'avaient fait surnommer l'église aux trois clochers; elles ont été détruites en 1822, sous Louis XVIII, « par économie », afin d'épargner les frais de leur restauration; et si on les a laissées subsister dans leur partie inférieure, c'est qu'elles ont paru nécessaires comme appui de l'église.
Le côté nord de celle-ci est isolé par une rue dite de l'Abbaye, ouverte en l'an VIII à travers le magnifique cloître dont il ne subsiste plus que l'aile droite, appuyée à l'aile gauche de l'église. Au bout de la rue de l'Abbaye, derrière le choeur de l'église, s'élève le palais abbatial construit vers 1586 par le cardinal de Bourbon. On admire son imposante façade, en briques et pierres, décorée de refends, de pilastres et de frontons; au sommet du pavillon de gauche, une femme assise tient un écusson aux armes du fondateur.

Le palais abbatial est habité depuis longtemps par l'industrie privée. Au droit du palais abbatial, une courte et large rue descend de la rue de l'Abbaye à la rue Jacob. Ouverte en 1699, elle porte le nom du cardinal de Furstenberg, qui fut abbé de Saint-Germain des Prés. Elle était encadrée originairement par les communs du palais; la grande maison no 6 en conserve la livrée architecturale, briques et pierres. Habitée par des artistes, et renfermant des ateliers spacieux, elle a vu mourir le grand peintre Eugène Delacroix.

L'aile occidentale du cloître renfermait la bibliothèque de Saint-Germain des Prés, la plus considérable de Paris en ce temps-là, et qui était ouverte au public; commencée par le P. du Breul, l'historien des Antiquités de Paris, elle avait reçu par dons testamentaires les bibliothèques du médecin Noël Vaillant, de l'abbé Baudran, de l'abbé Jean d'Estrées, de l'abbé Renaudot, du chancelier Séguier, du cardinal de Gesvres, du conseiller d'état de Harlay, et de M. de Coislin; ensemble cent mille volumes imprimés et vingt mille manuscrits, qui ont été versés à la Bibliothèque nationale.

De l'autre côté du palais abbatial, en marge du boulevard Saint-Germain, sur la face occidentale de la place Gozlin, s'élevait la prison de l'Abbaye, témoin des massacres du 2 septembre 1792; avant la Révolution, elle était particulièrement affectée aux gardes françaises; plus lard, elle reprit cette destination, généralisée aux soldats de toutes armes, jusqu'à l'époque où les anciens bâtiments du couvent du Bon-Pasteur, rue du Cherche-Midi, furent convertis en prison militaire. Devant la prison de l'Abbaye s'élevait le pilori, signe visible de la
 

 
Le marché Saint-Germain
justice seigneuriale qui appartenait aux abbés sur tout le bourg Saint-Germain; et devant le pilori s'ouvrait la rue de la Foire, devenue rue de Bissi, aujourd'hui rue Dom Bernard de Montfaucon.
Le marché Saint-Germain, qui remplace la célèbre foire de ce nom, a été créé par décret impérial du 30 janvier 1811; la première pierre en fut posée le 15 août 1813 et il fut mis en exploitation en 1818. Il a la forme d'un quadrilatère, environnant une grande cour au centre de laquelle on a transporté une fontaine qui se trouvait autrefois sur la place Saint-Sulpice. C'est une espèce de cippe carré, orné de quatre bas-reliefs, représentant le Commerce, l'Agriculture, les Sciences et les Arts, sculptés par Espercieux. Le marché, construit par l'architecte Blondel, se compose de quatre grands corps de bâtiments, de 13 mètres de profondeur; la cour mesure 65 mètres sur 48. La superficie totale est de 8816 mètres carrés. Les quatre rues qui l'entourent ont reçu les noms de Michel Félibien, Guy Alexis Lobineau, Dom Clément et Dom Jean Mabillon, quatre des plus savants historiens qui aient illustré l'abbaye de Saint-Germain des Prés.

La foire Saint-Germain, que le marché a remplacée, avait elle-même été construite par les abbés, à qui les rois de France en avaient concédé le privilège, sur les jardins de l'hôtel de Navarre, compris en 1386 dans la confiscation des biens de Charles le Mauvais, traître à la France et complice d'Etienne Marcel. La foire Saint-Germain, qui durait deux mois, du 3 février au 3 avril, et qui alternait avec la foire Saint-Laurent son aînée, fut le berceau de plusieurs théâtres parisiens. On n'y vit d'abord que des montreurs de marionnettes, dont Brioché fut le plus célèbre, des animaux féroces ou domestiques, des sauteurs et danseurs de corde; la fermeture, par ordre, de la Comédie-Italienne fit éclore l'Opéra-Comique, qui, né à la foire, exilé, rétabli, finalement triomphant, émigra un
 

 
Une marchande ambulante
moment à la rue de Buci, à côté de la boutique du pâtissier Quillet, puis se fixa dans une vraie salle à la rue de Bissi, ainsi nommée du cardinal-abbé de Saint-Germain qui avait fait construire un marché en avant du préau de la foire.

La rue de Bissi, aujourd'hui rue Dom Bernard de Montfaucon, semblait continuer la rue de Buci, de l'autre côté du boulevard Saint-Germain actuel; de là des confusions fréquentes chez les annalistes du théâtre. Au XVe siècle, la foire Saint-Germain tenait directement au petit jardin du presbytère de l'église Saint-Sulpice; le marché en est aujourd'hui séparé par la rue Saint-Sulpice, ouverte dans sa partie orientale par le cardinal abbé de Bourbon dont elle porta longtemps le nom, tandis que la partie occidentale débouchant sur la place Saint-Sulpice s'appela rue de l'Aveugle, puis des Aveugles, en souvenir d'un riche aveugle qui possédait en 1595 plusieurs maisons en bordure de l'église.

On peut commencer la visite de l'église par la droite, car une chapelle y est consacrée à l'information des visiteurs. On peut y lire la fondation de l'église et s'aider des plans maquette. A l'entrée à droite une porte fermée en bois indique l'emplacement du porche de la première église mérovingienne construite au VIè siècle, sur les fondations de laquelle a été érigée Saint-Germain, sur un plan perpendiculaire. Saint-Germain n'a pas le chic de la Sainte-Chapelle ou le flamboyant gothique de Saint-Denis, ses colonnes sont austères, les peintures et leurs ornements d'un genre particulier, arabesques floraux, feuilles d'acanthe, les murs sont dépouillés, les peintures écaillées. Cependant, elle date du dixième siècle. Les arcs-boutants et les ornements doivent être admirés à l'extérieur. La lumière est assez pauvre car les scènes occupent toute la surface des vitraux. La chapelle de la Vierge est une curiosité, elle est au fond de l'église. Des concerts s'y donnent régulièrement, souvent en fin d'après-midi ou en soirée. L'acoustique y est remarquable. Le quartier est festif et contribue à des concerts improvisés à proximité du porche de l'église.