L'atténuation du dimorphisme humain.
Le point auquel ont abouti de nos jours les rapports de l'homme et de la femme, tant dans la vie privée que dans la vie sociale, est caractérisé par une atténuation très sensible du dimorphisme humain.
Caractère complémentaire de l'homme et de la femme.
L'homme et la femme sont les deux fractions d'un même être que la nature a conçu pour se compléter. Normalement donc, chez les humains comme chez tous les êtres que la nature a scindé en deux, chaque sexe, lorsque le hasard ne préside pas à son accouplement, recherche dans l'autre non ce qui lui est semblable mais ce qui lui est complémentaire. Toutes considérations de convenances personnelles mises à part bien entendu, il résulte de cela que la disparité est la règle des unions contractées par penchant naturel, disparité dont l'extrême complexité du cerveau humain ne fait que multiplier les manifestations en les accusant. Renouvelant sans cesse le mélange du meilleur et du pire, cette disparité ramène constamment des extrêmes vers la moyenne tout ce qui est démesuré, à quoi elle interdit ainsi la durée. Par ce procédé, la disparité des unions est le plus puissant facteur du maintien de cette médiocrité évoluante qui est une des lois les plus impérieuses de la création.
Imperfection des êtres en général et de ce caractère en particulier.
Cependant, l'apparence d'une imperfection universelle règne dans l'adaptation des êtres et des choses. On ne se lasse ni d'admirer l'incroyable ingéniosité des systèmes, ni de s'étonner de leurs à-peu-près qui réagissent les uns sur les autres, engendrant les transformations sans nombres accomplies par les éléments de leur harmonie dans leurs mouvements incessants. Ce qui frappe dans la nature, c'est l'apparente inutilité d'une foule de complications qui, par mille détours, s'annulent presque et s'équilibrent à une très petite différence près, sorte de solde qui constitue le progrès. C'est aussi le mal ajusté, comme si le monde était l'œuvre de jeunesse de quelque débutant génial et capricieux. Et, parmi les êtres, l'homme est, en même temps que le plus fragile, le plus imparfait aussi parce qu'il est le plus complexe ; car, plus les fonctions sont nombreuses, plus l'être cumule les prodiges et les imperfections.
Pour l'homme et la femme, ils ne se complètent presque toujours qu'à demi, et jusqu'au paroxisme de l'ivresse mutuelle où, un instant confondus, ils ne font plus qu'une seule créature, ils sont rarement en harmonie complête. C'est seulement entre eux le dessein général de la nature qui fait loi.
La femme.
La femme, pour sa part, est la moitié la plus animale de l'être humain, et l'homme est tributaire de la femme comme d'un organe inférieur. Qu'elle le veuille ou non, qu'elle soit discrète ou qu'elle abuse de son pouvoir, la femme est toujours plus ou moins, et même sans enfants, une mangeuse d'activité masculine. Les insectes chez lesquels la femelle dévore le mâle pendant l'accouplement ne montrent que la réalité immédiate et extrême d'un principe qui est celui de toutes les unions. La femme a toujours à l'égard de l'homme certains traits de l'adversaire.
Ce n'est qu'à condition de rester très femme que la femme peut tirer le plus grand parti possible de la faiblesse masculine. La femme en effet a ses ruses afin de compenser ses infériorités naturelles, comme l'homme a ses faiblesses pour atténuer ses supériorités. Il y a toujours entre eux un peu des rapports de Samson et Dalila.
Restée plus primitive, pour employer une expression courante, c'est-à-dire destinée par sa nature à une évolution moins riche, au sommet moins élevé, la femme présente en pleine civilisation, en pleine décadence même, des qualités sauvages. Elle reste plus héroïque et plus cruelle que l'homme trop civilisé. Par ailleurs elle a les nerfs très fragiles et une fois énervée elle le reste très longtemps. Elle ment avec une aisance naturelle à laquelle l'homme n'atteint artificiellement qu'avec difficulté et par l'étude ; mais elle manque d'empire sur elle-même et de ce sang froid qui est essentiellement mâle. En revanche, l'instinct maternel la rend à la fois positive et dévouée. La femme a un sens pratique des petites choses qui dépasse de beaucoup celui de l'homme et, le cas échéant, une constance dans l'abnégation humble qu'il possède encore moins. Enfin et par dessus tout, elle est intuitive ; pour mieux dire elle est toute intuition. Demeurée plus près de la nature, la femme sent mieux que l'homme les subtilités d'une foule de choses (des petites toujours), de même qu'elle distingue mieux les parfums que lui. Avec du bon sens, elle fait un guide précieux. En regard de cela, à tout ce qui ne relève pas du flair, au raisonnement, à l'analyse, à la synthèse, la femme reste fermée et devient vite hostile ; elle est l'ennemie déclarée des spéculations désintéressées de l'esprit qui ne nourissent pas. Au surplus, mesurant strictement son jugement à ses goûts, la femme est si constitutionnellement injuste qu'elle en est ingénue.
Telle est la femme aux âges sociaux de force où le mâle humain conserve l'essentiel de ses qualités viriles. Elle garde toujours alors à l'égard de l'homme quelque chose d'un peu infantile et de subalterne et, quelle que puisse être son influence sur lui, elle reste volontier soumise à son autorité aussi longtemps qu'il la nourrit et la protège, elle et ses enfants. Elle recherche cette situation dès le plus jeune âge et elle considère qu'elle a rempli le but de son existence lorsqu'elle l'a trouvée.
Le dimorphisme primitif et le dimorphisme décadent.
Le dimorphisme est donc très accusé dans l'état de la civilisation, aux deux extrémités de laquelle il apparaît au contraire atténué, au début parce qu'il n'est pas encore accentué, à la fin parce qu'il perd sa netteté et qu'il se brouille.
Il est, dans la nature, une différence physiologique essentielle qui sépare les sexes comme un mur indestructible sépare deux étendues données. La civilisation prolonge ce mur très loin des deux côtés. De ce chef, la séparation naturelle fait seulement l'effet de l'axe et à la fois de l'amorce centrale de deux barrières plus ou moins hautes, plus ou moins longues, plus ou moins fortes, séparant le champ d'activité des sexes. Quant se produit l'atténuation décadente du dimorphisme, tout tend à se confondre et les sexes entreprennent de faire des brêches en nombre croissant dans la barrière ainsi progressivement détruite. En partie obligés par les circonstances, en partie poussés par la fantaisie, ils réduisent progressivement la séparation à peu près à la partie primitive qui demeure infranchissable et qu'ils se plaisent désormais à contourner, enjambant les ruines pour empiéter mutuellement sur leurs terrains respectifs. Ces terrains, toutefois, sont en pente. Celui de la femme se trouve en contre-bas. Or, il y a une loi de la pesanteur en morale comme en physique, et, de même qu'il est plus facile de descendre que de monter, de même il est plus facile à l'esprit de s'affaiblir que de se renforcer, surtout quand il est vieux. L'homme actuel, donc, a pris beaucoup plus de caractères féminins que la femme n'a pris de caractères mâles.
Caractères féminins de l'homme actuel.
Avec des nerfs, une sensibilité, et souvent une indécision de femme, l'homme fait preuve aujourd'hui d'un manque d'initiative, de force et de carrure qui le rabaisse étrangement ; car il ne pourrait suffire au mâle humain de se montrer plus ou moins adroit ou débrouillard tout en se résignant à un désarroi qu'il a laissé se produire par l'accumulation de toutes les lâchetés. Etre d'instinct, la femme pardonne la brutalité, elle l'admire souvent. Elle ne pardonne jamais à la faiblesse et c'est conforme à l'ordre des choses. Or l'homme moderne est vis-à-vis d'elle un renonciateur incapable de régner sur le foyer dont il est le chef et le défenseur naturel. Il est un vaincu qui, dérouté par les conséquences logiques d'un état politique dont il est seul et entièrement responsable, a échoué en tout, complètement et misérablement. Etre d'instinct toujours, attirée par le fort qui peut lui donner de beaux enfants et entretenir sa nichée, la femme, toute dévouée et charitable qu'elle est, méprise ceux qui échouent, surtout sans gloire, c'est-à-dire sans espoir, et se détourne prudemment de celui qui entretient avec la malchance un commerce trop assidu pour ne pas la faire douter de son mérite. Ceci encore est conforme à l'ordre des choses.
Dans un mouvement de repli d'une humilité croissante, l'homme s'efforce de faire oublier sa déficience dans ses attributions proprement masculines, en soulageant sa femme d'une partie des besognes qu'il lui appartiendrait de faire ou de faire faire ; tandis qu'elle-même, d'ailleurs, accomplit une partie des siennes. L'homme donc, pour peu que les circonstances le sollicitent, va faire les provisions, et "donne un coup" à l'appartement ; il recoud même un bouton, car il faut savoir tout faire, dit-on, ce qui, en langage moderne, signifie : tout ce dont un homme, si modeste qu'eût été sa situation, se fût tenu pour disqualifié de faire il n'y a pas trente ans, ou bien dont, en une heure de détresse, il se fût caché comme d'un ridicule sinon d'une tare. Mais, là où l'homme actuel se montre inconsciemment dans toute sa déchéance, c'est lorsque, chargé de ce qui est par excellence le fardeau de la mère, il porte l'enfant, pousse la voiture accompagné de sa femme fumant une cigarette, ou prend dans le métro la place que cède en souriant une dame "au monsieur qui a un bébé dans les bras", alors que le rôle du-dit monsieur, au lieu de faire la nourrice sèche, eût été de contribuer au maintien ou au rétablissement d'un ordre social tel que sa femme pût avoir une servante, ou tout au moins, se consacrer à son ménage et à ses enfants.
Les responsabilités de l'homme.
Quand il y a un individu plus fort que l'autre dans une affaire, c'est à lui qu'incombent les responsabilités immédiates. C'est donc vers l'homme qu'il faut tourner des regards sévèrement interrogateurs. Or l'homme de la décadence a créé une situation inextricable dont la moindre absurdité n'est pas d'avoir fait ou laissé travailler la femme, ou de l'y avoir encouragée. Après quoi, toujours hanté de sa chimère démocratique, il a mis la femme de moitié dans les conséquences de ses fautes en lui donnant un bulletin de vote qu'elle ne réclamait pas plus que les nègres du centre de l'Afrique
et dont elle se sert d'ailleurs comme eux. Enfin, par une suite inévitable, et pour comble, la femme s'est trouvée enrôlée dans l'armée tandis qu'elle devenait apte aux fonctions civiles de l'état. L'égalité politique et sociale est donc désormais complète entre deux êtres dont l'un fait en quelques minutes l'enfant que l'autre doit porter neuf mois, allaiter un an et entourer de soins pendant plusieurs années encore ou bien qui éprouve un trouble physiologique de plusieurs jours toutes les quatre semaines. Qu'en résulte-t-il en fait ?
Les illusions de l'homme moderne.
Au surplus, entêté d'égalité, l'homme actuel recherche avec la femme une association impossible. Dans la complexité de la vie moderne, en effet, l'homme rêve avec complaisance d'une "compagne" capable d'exercer une profession d'homme et douée d'une intelligence mâle en même temps que d'un esprit de décision quasi viril ; toutes choses qui, en partageant les responsabilités maîtresses du ménage, déleste l'homme d'autant et remédie à ses déficiences ou à ses hésitations. Cette espèce d'association d'hommes ne saurait évidemment comporter qu'un charme purement théorique et des agréments chimériques. Toutefois, comme l'homme reste toujours homme par certains côtés (au moins par ses défauts, diront les femmes non sans raison), dans une vie sans cesse plus étriquée où toutes les diversités de la civilisation, déployées encore naguère, se rétractent désormais, et où les conditions de l'existence poussent de plus en plus à rechercher en tous genres des instruments bons à faire plusieurs choses, il admettrait volontiers qu'outre l'aptitude à gagner sa vie, la femme joingne aux vertus de l'épouse et de la mère, les talents de la cuisinière, de la secrétaire et de la courtisane. Même à l'état rudimentaire de chaque qualité, c'est trop demander et l'illusion de pouvoir trouver dans une seule femme cette sorte de comprimé de plusieurs spécialités différentes et, certaines, exclusives, est à l'origine d'une foule de mariages et de beaucoup de divorces. A cette illusion, en fait, comment la femme a-t-elle répondu ?
Ce que, théoriquement, la femme eût pu faire d'efficace.
Si la femme était un ange, devant cette carence de l'homme elle se fût faite plus femme que jamais. Elle eût repoussé les faux bénéfices que la faiblesse masculine lui offrait et, s'attachant davantage encore à ses métiers de femme, elle eût exigé de l'homme qu'il fît les siens. Elle se fût refusée à soutenir, forcément tant bien que mal, la partie des rôles essentiels qu'il abandonnait et, en le maintenant sur le plan des réalités pratiques et du bon sens, elle eût privé d'objets ses plus dangereuses divagations. Car, en tout temps, l'homme le plus despote craint facilement sa femme, si bien armée, comme tous les inférieurs familiers, pour rendre la vie insupportable (1).
Mais les affaires du monde, où toutes les transformations réagissent les unes sur les autres, ne vont point de la sorte. La pensée que l'être humain puisse rester essentiellement indemne quand l'autre est si profondément atteint sonne faux, et elle n'est en effet qu'une chimère. En fait, la femme ne vaut guère mieux que l'homme et achève de se gâter tout à fait à son contact. De même qu'on a le gouvernement qu'on mérite, l'homme moderne a la femme qu'il mérite.
Nature ingrate de l'émancipation de la femme.
Il est de ces bienfaits qui ne sont tels que dans l'imagination de ceux qui les font ; tandis que ceux qui les recoivent ne les pardonnent jamais. Cette sorte de bonté engendre toute une fermentation de sentiments hostiles qui se heurtent, s'agitent, procèdent les uns des autres comme les étapes d'une catastrophe, et dont l'ensemble, en donnant à la candeur bienfaitrice l'impression de l'ingratitude, lui signifie que ses bienfaits ont été mal faits.
L'émancipation légale de la femme est de ce nombre. Elle est naturellement l'œuvre de l'homme comme la puissance politique des pauvres est l'œuvre des riches. L'homme, pour tout dire, a donné l'indépendance à son conjoint comme les colonisateurs modernes ont porté la liberté aux indigènes qui dégénéraient aristocratiquement et sans guère de soucis dans les douceurs d'une tranquilité relative. Ceux-ci leur ont offert toute une pacotille de droits illusoires et compliqués contre des charges lourdes et réelles, avec l'obligation de travailler à l'européenne. Ils ont guéri quelques individus par les procédés d'une science coûteuse qui soulage en détail mais qui anéantit en gros. Ils ont communiqué enfin à leurs "protégés", de cet art de se gouverner qu'ils ont d'ailleurs eux-mêmes perdu, juste ce qu'il faut pour se révolter et organiser le désordre. A l'égard de la femme il en est allé à peu près de même. Rien n'était plus propre que ces dispositions égalitaires à lui faire perdre le respect du mâle, lequel, désormais, ne recueille que l'estime que l'on accorde à ceux qui renoncent à leur droit pour s'alléger d'un devoir. Les inférieurs acceptent toujours l'ombre onéreuse des droits qu'on leur offre comme un avantage immédiat, quitte à vous reprocher de les avoir trompés quand ils éprouvent qu'entre leurs mains ces droits perdent leur caractère. La femme, sous ce rapport, s'est montrée dans toute son infériorité en s'amusant dès l'abord, comme d'une mode nouvelle, des lambeaux abandonnés de la supériorité masculine. Et ainsi s'est créé un état qui dépasse singulièrement le détraquement politique - momentané dans l'histoire des hommes celui-là, mais annonciateur - qui a inspiré Aristophane - état que les développements vertigineux de la science rendent précurseur de bien des choses et que, faute d'autre nom, on pourrait appeler la gynéandrie.
Comment elle l'a acceuillie.
Vivant depuis tant de siècles sous un régime pratiquement si libéral, la femme, la femme française notamment, n'a guère pu recueillir que ce qui lui restait à recevoir du système de désagrégation méthodique auquel le bouleversement actuel appose le sceau final de l'anarchie : c'est-à-dire ses inconvénients. Dans l'ensemble, à vrai dire, elle a acueiili la chute des ultimes barières légales qui la séparaient quelque peu de l'égalité complète avec plus d'indifférence que d'enthousiasme ou seulement de satisfaction. Un instinct profond et sûr l'engageait à cette réserve qu'inspire toujours l'octroi emphatique d'un bonheur qu'on ne réclame pas. Tout au plus, lorsqu'on l'interroge, dit-elle mollement et sans conviction que c'est plus juste ; encore n'est-il pas toujours facile d'obtenir cette réponse bénigne. Simplement, la femme joue à l'homme avec plus ou moins de sérieux. Elle ne peut même pas, en général, éprouver cette jouissance profonde de la liberté, qui, le premier chagrin passé, a de tous temps épanoui les veuves riches les plus honnêtes, car, pour jouir de son émancipation, il faut avoir les moyens matériels d'en profiter. La liberté est un luxe, elle requiert les services des autres ; elle coûte toujours cher. Aussi bien, de ce jeu, de cette singerie à parler franc, la femme se lasse déjà ; elle en abandonne les exagérations les plus extrêmes, car l'heure des exentricités est passée. Par la force des choses qui l'a créée, la situation nouvelle déroule ses conséquences et, désormais, le sexe qui fut beau et qui est resté faible, se trouve aux prises avec toutes les rudesses de la plus ingrate réalité. Cependant, en cela aussi, les institutions corrompent les hommes qui, tout responsables qu'ils sont d'en avoir jeté la semence, persistent un certain temps à valoir mieux que leurs sottises. Cet état intermédiaire dure tant que, en majorité partisans de la cause, ils restent malgré cela réfractaires aux effets ; mais, en tous les cas, ceux-mêmes qui s'opposent à ces effets, ne peuvent pas s'y soustraire ; les conditions de la vie le leur interdisent. Et c'est ainsi que l'évolution s'impose. La gynéandrie, pour sa part, n'y manque pas ; elle opère sur le physique et sur le moral si plastiques de la femme une transformation très superficielle encore, mais dont les couches vont s'épaississant chaque jour sur les anciennes formes. Ainsi, le tourbillon des passions et des modes d'une époque laisse un résidu qui se dépose sur l'âme humaine, malgré elle, comme un revêtement sédimentaire plus ou moins friable à la longue, plus ou moins durable par conséquent, et dont des traces que l'on voit ou que l'on devine demeurent toujours.
Les femmes supérieures.
Il a toujours existé dans la bonne société et autour d'elle, des femmes d'esprit douées d'une répartie vive et très fine, avec un sens inné de la conversation, dont l'art convient particulièrement à la souplesse du tact féminin. Cet ensemble de dons s'est traduit par un goût excellent dans le genre épistolaire et une aptitude à sa perfection que d'illustres lettres ont consacrés. Il existe aussi dans tous les temps une minorité relativement importante de femme de tête, gouvernant fort bien leurs affaires, capables exceptionnellement de seconder un homme dans les besognes d'exécution de la politique, et surtout sachant admirablement faire prospérer un commerce ; la femme, en effet, qui a le sens de la séduction, possède du même coup celui de la diplomatie subalterne et celui de la clientèle, qui lui est proche. Si elle est commerçante, elle rendra indifféremment florissantes les affaires d'un commerce de lingerie ou d'une maison de rendez-vous, d'une agence immobilière ou d'une entreprise industrielle moyenne. Enfin les études, qu'ont commencé à faire les femmes depuis une quarantaine d'années, en ont provoqué quelques-unes dans les professions libérales, en fort petit nombre, qui sont l'élite de la minorité précédente et qui, alliant à leurs qualités intuitives quelques autres proprement masculines, font des sujets relativement remarquables dans leur spécialité. Toutefois, si élevée que soit la leur dans la hiérarchie des différentes techniques, si pénétrante que soit leur intelligence dans cette technique même, ces femmes conservent toutes un esprit, un cœur, un jugement féminins, toujours très sensibles au murmure lointain et partial des sens, même apaisés, même soi-disant éteints en elles, car leur flamme y brûle toujours en quelque coin sous un alambic quelconque. Si grande que soit l'intelligence d'une femme, elle est toujours plus étendue que profonde ; elle s'assimile, elle ne crée pas. C'est bien pourquoi, lorsqu'elle possède cette énergie nerveuse qui lui est propre, elle réussit pleinement dans ce qu'elle entreprend, car son esprit naturellement limité et alors précis, ne se perdant pas en considérations parasites qui distraient d'un but, lui permet de concentrer ses forces afin de faire ce qu'il faut et juste ce qu'il faut. En pareille occurrence, cette sorte de femme se confond presque avec l'homme d'affaires, ayant, le cas échéant, moins de résistance et d'envergure que lui, mais plus de finesse dans l'intuition pour les initiatives de second ordre.
La jeune fille.
La femme faisant les mêmes études que l'homme, la fille, dès le plus jeune âge, connaît, à l'école mixte, l'égalité avec les garçons et la promiscuité des sexes. A l'âge nubile, si elle n'est pas dactylographe, employée ou fonctionnaire dans cette administration publique désormais bisexuée, refuge de femmes innombrables, désœuvrées, chuchotantes, tricotantes, mécontentes, à la fois mal payées et ruineuses, elle devient étudiante. Ce dernier état la conduit fatalement à traîner le soir dans la morne tristesse du quartier latin avec des jeunes gens crasseux, mal vêtus et non peignés, ou bien originaires des contrées les plus éloignées parmi les quatre autres parties du monde. Lui faisant mener désormais la vie de garçon, on ne saurait exiger de la fille qu'elle attachât plus de prix que lui à une virginité dont l'antique préugé est, depuis longtemps d'ailleurs, entouré des sophismes les plus captieux. Partant, un type d'être humain a disparu : la jeune fille, dans le sens précis où ce nom est synonyme de vierge. Naguère il y avait un physique de jeune fille affirmant la virginité peinte sur la fraîcheur du visage et dans l'ingénuité des yeux, comme il y avait une coiffure de jeune fille, un vêtement de jeune fille, des bijoux de jeune fille, une tenue de jeune fille - qui commandait la retenue - une conversation de jeune fille, une éducation et des sentiments de jeune fille. Aujourd'hui, on ne distingue plus que des femmes d'une jeunesse imprécise, aux cheveux décolorés et épars, défraîchies et fripées, sinon fânées déjà sous le fard, et dont la pysionomie et l'allure, comme celles maintenant de toutes les femmes qui ne sont pas âgées, annoncent un changement profond dans les mœurs féminines.
Le rôle du patriciat féminin d'autrefois.
Autour de 1900, les jeunes filles, les jeunes femmes, avaient quelques audaces qui paraissent bien peu de chose depuis trente ans. Cependant c'était un début qu'ont peint, en des romans très différents, Gyp et Marcel Prévost ; il vaut d'être noté. Il n'en existait pas moins encore à cette époque un patriciat féminin dont la vie représentait la plus fine fleur des mœurs d'alors et vers l'imitation duquel toutes les femmes tendaient plus ou moins, dans la mesure de leurs possibilités. Ce patriciat, comme tous les patriciats, n'était point une classe à part superposée aux autres classes sociales, mais bien la quintessence même de l'état social tout entier auquel il renvoyait en exemple accompli de raffinements ce qu'il recevait en substance par mille canaux. Dans l'ensemble, la femme avait alors un soin de sa personne, une science de l'homme à son usage et un art subtil de lui plaire ; elle avait surtout un respect d'elle-même qui l'imposait autour d'elle ; elle avait enfin une soumission à l'autorité maritale qui, par le contraste actuel, en font un être de légende. Cette femme, qui avait été élevée au couvent, qui se conservait la peau blanche et protégeait son teint sous une violette, n'était pas plus empruntée qu'une autre ; elle avait simplement des principes et elle était bien élevée. Quoiqu'elle fût industrieuse par nature et souvent par éducation, surprise par des conjonctures analogues à celles dans lesquelles nous vivons, sans doute eût-elle été moins débrouillarde, faute d'une triste habitude qu'il est préférable de n'avoir pas à prendre, mais elle savait vivre ; elle savait son métier de femme du monde : recevoir avec grâce, causer avec tact, tenir un intérieur avec goût et maintenir les hommes dans les bornes de la décence. Elle avait encore, quel que fût son âge, une vertu sociale exclusive et très importante : celle de pouvoir, sans les froisser, rappeler à la notion de certaines réalités ces hommes que leur talent isole en les élevant au-dessus des autres et qui, n'ayant plus autour d'eux que des disciples, n'ayant plus d'autres hommes qui osent les critiquer ou bien affronter le reproche de jalousie ou d'envie à leur égard, perdent pied dans les nues et gâtent leur mérite et leur réputation faute d'un avis clairvoyant et d'une critique bienveillante et désintéressée, dont certaines femmes pouvaient seules donner l'un et faire l'autre.
La femme actuelle.
Entre cette femme, disparue le 2 août 1914 avec la monnaie d'or, et celle de ce temps-ci, il y a la différence que fait apparaître une conception graphique ou sculpturale moderne de l'être féminin, comparée à un portrait d'Helleu ou de Madrazzo, ou bien à une œuvre de Desbois par exemple ; non point que toutes les femmes aient le genre misérablement caricatural qu'exagère le dessin moderne, mais parce que ce genre est celui qui imprime le sceau de sa déformation malsaine au type féminin de la triste époque où nous vivons.
La femme, pour tout dire, est méconnaissable, et sa transformation est assez générale pour avoir très sensiblement transformé son aspect physique que la pratique, sinon l'abus, des exercices masculins du corps avait déjà en partie modifié. Les traits du visage féminin, en effet, ont perdu beaucoup de leur finesse ; également abîmés par l'air, le soleil et les fards, le teint, la peau de la femme actuelle n'ont plus rien de la fraîcheur et de la délicatesse qu'elle prenait tant de soin naguère pour leur conserver ; elle a pris une taille large, des pieds plus grands et souvent presque des mains d'homme. Rongés par une décoloration criarde et torturés par la brutalité des nouveaux procédés de frisure quand ils ne sont pas lamentablement négligés, les cheveux des femmes deviennent fragiles et rares ; sans compter qu'avec leur nouvelle existence, la calvitie mâle guette leur tête qui n'est pas faite pour réfléchir. Outre cela, ce qui frappe dans la femme d'aujourd'hui, c'est l'absence de toute grâce féminine dans les mouvements et, avec le manque de douceur, quelque chose de taciturne et d'amer dans l'expression tendue du visage fatigué.
Pour mieux s'adapter, sans doute, à dédoubler l'homme moderne, la femme s'est efforcée d'en contrefaire certains dehors ; elle affecte en effet une allure décidée, des gestes brusques, des habitudes triviales et une attitude sans nulle réserve. Car la femme fume et boit (2), elle prend une voix forte, éraillée et gutturale ; elle a perdu toute pudeur dans sa tenue, dans ses propos et dans son vocabulaire. D'autre part, depuis plus de trente ans, elle n'a plus de ce que l'on nommait proprement lingerie. Ses dessous se sont progressivement réduits à quelque chose de si simple que le pluriel, pour en parler, n'est guère dans le langage courant qu'une survivance ne correspondant plus à la réalité. Aujourd'hui enfin elle porte des habits de coupe quasi masculine. Au lendemain de la guerre de 1914, le type de femme à la mode avait été une femme longue, plate, sans formes féminines accusées, et portant les cheveux courts, c'est-à-dire privée de ses attributs les plus attrayants et que sa tournure rapprochait sensiblement de l'éphèbe anglo-saxon. C'était là un début. Trente ans plus tard, on devait voir des femmes vêtues et coiffées en homme. Elles ont fourmillé lors de la libération. Dans cet accoutrement, qui subsiste et convient singulièrement aux mœurs équivoques de trop d'entre-elles, beaucoup se confondent si étrangement avec un certain type d'homme dont le vice est aussi de plus en plus répandu, qu'on a souvent beaucoup de peine à les distinguer.
Au reste, dès qu'elle est sans tutelle, la femme a une façon particulière de se prouver à elle-même et de prouver aux autres son indépendance et son égalité avec l'homme, c'est de manifester à l'égard des hommes le goût changeant que ceux-ci ont naturellement à l'égard des femmes. Sous ce rapport, s'autorisant d'une ou deux désillutions du cœur éprouvées dans le désordre naissant de leur prime jeunesse, "quand elles étaient encore si naïves !", elles se montrent d'un cynisme auquel l'homme, qui redoute sans cesse une foule de choses, notamment les scènes, n'atteint qu'exceptionnellement. Cela seul suffirait à donner au mariage son caractère moderne d'association temporaire dont la durée précaire est celle d'une reconduction tacite de chaque jour.
D'une prétention et d'un souci de la femme actuelle.
Il est d'ailleurs une prétention et une préoccupation qui, chacune pour sa part, contribuent l'une et l'autre à accentuer ce que l'attitude présente de la femme a d'obligatoirement faux. La prétention est celle de connaître la vie. La femme s'est, en effet, trouvée abandonnée sans tutelle dans l'existence lors d'une période de l'évolution humaine où le désordre sous toutes ses formes et les violences qui sont le cortège ordinaire de l'erreur ont atteint un degré véritablement inouï. Dans cette déroute générale de l'esprit, le sien, qui est essentiellement inapte au raisonnement philosophique, a vu ces choses étranges : les instincts (comme c'est facilement leur cas) revenus à l'état le plus fruste, tels, peut-être, qu'ils pouvaient suffire à l'homme des cavernes, et, ces instincts faisant usage d'un luxe extraordinaire de moyens matériels perfectionnés qui en imposent aux simples. La femme a vu la diplomatie la plus imbécile et la plus courte se servant de la T.S.F. et des avions les plus rapides pour accumuler les niaiseries homicides et les projets insensés ; elle a vu la politique la plus enfantine disposant d'instruments dont l'ingéniosité et le nombre ne cessent d'étonner ; elle a vu enfin des hommes uniquement habiles à accroître la rapidité de leur agitation, semblant voués à ce qu'aucun parmi eux ne puisse faire un geste de conservation personnelle qui ne tende à la destruction de l'ensemble. A ce spectacle, très peu d'hommes démêlent quelque chose et aucune femme ne comprend rien. Mais, nouvellement invitée à prendre une part directe et illimitée à la confection du chaos universel, jetée par force et sans protection dans la foire inénarrable de la vie moderne criarde et haletante, la femme s'est fait tout d'un coup, des sentiments du monde, l'opinion que peut se faire de l'amour une vielle fille violée par des soldats ivres au soir d'une bataille.
La galanterie.
Sa préoccupation, d'un autre côté, demeure forcément de compenser par certains privilèges les faiblesses de sa complexion naturelle et l'hypothéque si lourde que la maternité fait peser sur elle. A cet égard, il est vrai que l'égalité politique et sociale pure et simple avec l'homme, ne pourrait lui suffire : d'abord parce que l'égalité ne suffit à personne et n'est jamais pour ceux qui la réclament qu'une étape qu'il faut se hâter de franchir ; ensuite parce que cette égalité pure et simple la laisse réellement encore dans un état d'infériorité que rien ne contrebalance plus. Quel équilibre l'avenir introduira-t-il à ce sujet ? Nous allons voir plus loin le peu que son mystère laisse actuellement percer. Pour l'heure, la femme s'avise d'un expédient insoutenable, quelque peu grossier, et illogique comme elle, consistant, dès qu'elle se sent faiblir, à réclamer le bénéfice d'une galanterie qui correspond aux mœurs et à la structure sociale d'un autre âge et que l'égalité entre les sexes exclut, en tout cas, sans appel, pour ne laisser subsister, à titre de fonction atrophiée, qu'une petite pacotille de manières amoureuses, ingénument indécentes, toutes passagères et d'ailleurs réciproques, répondant aux désirs immédiats et précis des sens (3). Si l'homme renonce à s'imposer, il n'existe plus non plus de femmes telles, par leur allure et leur vertu, que le front des hommes s'inclinait sur leur main en hommage d'un respect qui n'avait rien de conventionnel. Leur race a disparu avec celle des hommes qui la formaient. Son dédain croissant de l'homme joint à la nature de ses activités nouvelles font que la femme n'a plus le souci constant et souvent unique de plaire, comme jadis, quand elle maniait sans cesse l'arme instinctive de sa séduction, même sans l'ombre d'intention directe, par habitude innée de s'efforcer d'attirer des mâles civilisés, c'est-à-dire toujours plus ou moins difficiles, en répandant le charme autour d'elle. Sans doute n'est-ce point sa faute, mais le fait est là ; et, aujourd'hui, la femme ne les a plus assez petits, ni assez bien chaussés, ni au bout d'assez jolies jambes, ni sortant d'assez belles jupes, pour que soient à ses pieds les hommes qu'elle y aimerait voir.
Le regret.
Cependant, on touche par là à un autre sentiment de la femme actuelle qui, pour sourd et généralement inavoué qu'il soit, n'en est pas moins profond. Il est, on peut dire, unanime parmi elles. En vérité, il domine même tous les autres de haut. Pour le formuler dans son acception la plus complète, élevée à l'état de chimère, disons que c'est le regret de chacune d'elles de n'être pas l'épouse, l'esclave si l'on veut, entourée de luxe, d'un mâle puissant et magnifique. Trop forte encore, la nature s'insurge en sous-œuvre. La femme aime à être femme et elle n'a pas de plus grand grief contre l'homme que, par sa faute, de ne plus pouvoir l'être. Ce qu'elle ne peut pas pardonner à l'homme, c'est d'avoir perdu la force de la conserver femme. Cela vaut avec raison à cet homme moderne incapable de retenir dans ses attributions naturelles celle qui devrait peupler son foyer de beaux enfants, à ce mâle assez veule pour la laisser dans l'obligation de sortir de son rôle, où elle est dans toute sa beauté, afin d'assumer gauchement une partie du sien, cela vaut à cet homme moderne le mépris justifié qui se lit si souvent dans le regard féminin. Car enfin, lorsqu'elles entreprennent un métier d'homme, combien de femmes ne le font-elles pas que pour trouver un mari qui leur permettra de le quitter ? Et sous les dehors de l'assurance masculine que la femme montre aujourd'hui pour se défendre, est-il difficile de découvrir l'effort d'une résolution réfléchie et parfois touchante pour masquer courageusement les faiblesses d'une désespérance foncière ? Combien n'y a-t-il pas de femmes ayant brillamment réussi entre les deux guerres dans leurs entreprises, ayant un mari ou un amant, étant entourées d'ailleurs, et, au besoin, non sans religion, et qui, à l'une de ces heures où la vérité vous échappe, devant l'angoisse de l'avenir qui se révèle, murmurant : "Je suis toute seule." ? Toute la détresse de l'âme féminine moderne est dans ce mot ! Et à combien de femmes encore, réputées heureuses en ménage, n'entend-on pas dire avec une résignation souriante : "J'ai deux enfants... et mon mari, cela fait trois." Quel aperçu de mœurs navrantes dans cette courte phrase !
La bolchévisation conjugale.
Quoi qu'il en soit de ce qui précède, la bolchévisation conjugale est virtuellement achevée. C'est, jusqu'à nouvel ordre, un fait acquis et, du passé, il ne reste que de vagues habitudes entretenues par la paresse et s'effaçant d'ailleurs un peu plus tous les jours. Cela constaté, quel peut être l'avenir ?
L'avenir. Le Ceratias Holboelli.
Il existe un poisson des grandes profondeurs appartenant au groupe des Ceracioides, nommé Ceratias Holboelli, mesurant quelque cinquante centimètres de longueur, très large et muni sur le dos, derrière la tête, d'une longue tentacule recourbée dont l'extrémité, lumineuse à l'occasion, retombe devant lui pour lui permettre de pêcher dans l'obscurité des abîmes où il vit. C'est là du moins, la femelle. Cette femelle semble, au premier abord, posséder sous le ventre une nageoire supplémentaire. Vue de plus près cette nageoire apparaît comme une sorte de protubérance. Cette protubérance, c'est le mâle. Et c'est bien un mâle, non l'organe mâle d'un être bisexué, (autant que, pour les besoins de l'étude, des divisions absolues puissent être établies parmi la subtilité des différences pleines de similitudes conçues par la nature). Ce mâle nain mène en effet, pendant quelque temps, une vie autonome ; puis, lorsqu'il rencontre la femelle, il s'attache à son ventre par la bouche et devient quelque chose d'intermédiaire entre le parasite et l'organe tardivement développé. Désormais il reçoit d'elle sa nutrition ; des anastomoses se font entre ses vaisseaux et ceux de la femelle dont la circulation sanguine s'étend à son corps et remplace la sienne propre. Son cœur et ses autres organes s'atrophient alors, sauf l'un d'eux qui apparaît sous l'aspect d'une grosse masse blanchâtre, bilobée, remplissant, en la gonflant, à peu près toute son enveloppe, et qui est un gigantesque testicule. Le canal excréteur de ce testicule débouche en sorte que les œufs, sortant du conduit de la femelle très près du point où le mâle vient adhérer à la paroi, sont fécondés au passage.
L'élément féminin dans la société future.
Jusqu'ici, le cas de ce poisson est unique chez les vertébrés. Mais plusieurs faits autorisent à se demander si le genre humain n'offrira pas un jour le second exemple d'une organisation philosophiquement analogue à celle du Ceratias Holboelli. Les progrès réalisés au cours de ces dernières années dans le domaine de la science et de ses applications sont tels que la conception se présente sans absurdité à l'esprit, d'une société humaine presque entièrement composée de femmes. Dans cette société le pouvoir de déterminer à volonté le sexe de l'enfant permettrait de provoquer le nombre restreint de mâles strictement requis pour obtenir la semence nécessaire pour assurer la continuité de la race, reproduite d'ailleurs par des femmes retenues comme particulièrement aptes à cette fonction, les autres étant affectées aux autres besognes sociales. Pour réaliser une telle société, deux variétés de pouvoirs sont nécessaires : le pouvoir scientifique de sélectionner en les produisant les êtres doués de telle ou telle aptitude prédominante ; le pouvoir politique de réglementer cette production, au nom - bien entendu - de l'intérêt général. Il n'est aucun de ces deux pouvoirs dont la menace se précise de jour en jour.
Ce que l'on peut distinguer dans l'avenir : l'artificiel engendrant toujours plus d'artifices.
Telle est, du moins, la vision que fait surgir la conjonction de la science, dans l'état actuel de son développement, avec l'orientation présente des mœurs politiques. La sagesse, cependant, doit mettre en garde contre la témérité des conjectures. Nul ne peut se prononcer sur ce qui résultera, même dans un avenir prochain, de découvertes encore à faire, combinées avec les conséquences imprévisibles de celles qui existent déjà ; le tout livré aux surprises des incidences non envisagées d'une évolution générale dont nous connaissons très peu le passé et très mal le présent, autrement dit, dont nous ignorons la plupart des données constitutives. Toutefois, il est des choses parmi les moins incertaines, qui ressortent avec une réelle netteté. Il est hors de doute, par exemple, que si l'humanité doit continuer encore d'exister, le désordre démocratique actuel, après avoir détruit ce qu'il a, selon toute apparence, à détruire, est appelé à cesser ou à disparaître (ou à s'éclipser), pour faire place, vaille que vaille, à un ordre nouveau, aristocratique de façon ou d'autre. L'anarchie conjugale en particulier sera remplacée par on ne saurait dire quoi d'autre, mais qui ne sera pas égalitaire. D'autre part, si nul ne peut se prononcer sur ce que les artifices de la science feront au juste du genre humain, on peut affirmer cependant que, s'ils ne l'anéantissent pas, ils le déformeront très sensiblement ; c'est là une chose indéniable parce qu'elle est en cours d'exécution. Il ne faut pas oublier, en effet, qu'à partir du jour où un aéroplane, comme on disait alors, s'est élevé de terre de quelques centimètres pour aller tomber quelques mètres plus loin, moins de quarante ans plus tard on a fait couramment le tour du monde à plus de mille kilomètres à l'heure. Le même avenir est réservé à la transmutation des corps, d'ores et déjà effective depuis plusieurs années, et destinée à passer du laboratoire à l'usine un jour qui ne peut pas être très lointain. Pour l'homme, il apparaît clairement que son ingéniosité exaspérée augmente sans cesse ses moyens de s'user lui-même, tandis que, par l'effet de l'âge, ses facultés de résistance faiblissent et ses organes et ses tissus veillissent. Or, dans l'immense trafic du monde vivant, le compte de la nature, pour chaque individu, ne peut jamais être débiteur. Il faudra donc dans l'avenir qu'afin de contrebalancer les excès de son usure l'être humain, quel qu'il soit, prélève l'indispensable, pour reconstituer ses forces, parmi les créations artificielles qu'en dépit de ses illusions il n'a imaginé que pour s'user. Ainsi, des millénaires de travail l'auront conduit à faire mal, et avec beaucoup de peine, ce que la nature faisait à peu près bien et lui offrait sans l'inquiéter autrement. Mais, pris dans le cycle infernal des procédés artificiels, il est voué désormais à ne se défaire de l'un d'eux que pour en adopter deux autres. L'atificiel appelle l'artificiel sans fin.
La destinée humaine et la liberté.
C'est là qu'il apparaît combien peu l'homme est maître de son destin. Quand on observe l'humanité, ce qui, peut-être, frappe le plus, c'est l'accélération constante de son mouvement évoluant. Tournant dans un cercle de misère avec le seul pouvoir de l'élargir dans ses vains efforts pour le briser, il semble qu'elle soit condamnée à le parcourir toujours plus vite à mesure qu'elle l'agrandit ; comme si une loi mystérieuse lui ordonnait, si grand qu'il devienne, d'en faire invariablement le tour dans le même temps. L'accélération de son mouvement empêche de plus en plus l'homme, devenu par ailleurs dans son élite singulièrement inattentif et peu perspicace, de distinguer les conditions et l'organisation de l'aire du circuit qu'il parcourt. A plus forte raison ne peut-il percevoir le fait que l'ensemble des rapports constants, dont le système vaut dans ce cercle douloureux où il tourne, est lui-même entraîné, comme un équipage de forces soumises aux lois générales de la physique, dans une course à travers quelque chose qui n'est ni le temps ni l'espace mais l'un et l'autre combinés, en une direction à peine repérable et vers une fin - s'il y en a une - insoupçonnée.
C'est là qu'apparaît aussi combien vain est le mot liberté, combien pauvre est la cervelle et insensé l'esprit de ceux qui ont prétendu substituer une liberté qui n'existe pas à des libertés précises, qu'il est alors naturel de vouloir rendre aussi nombreuses et bien garanties que possible. Sans doute, "Qui habitat in cœlis irridebit eos" ; il rira de ces hommes qui, estimant désormais leur intelligence supérieure à toute croyance religieuse, ont cru cependant - et avec tant de fatuité - à la liberté d'un être qui malgré lui, sans être consulté, reçoit la charge la plus pesante, la plus onéreuse de toutes : la vie ; pour être finalement près d'aboutir à ce que cette vie, il ne lui soit même plus permis de la transmettre comme il l'entend ; ce qui, d'ailleurs, se déduit logiquement puisque désormais elle ne lui appartiendra pas !
L'artificiel appelle l'artificiel sans fin. Bientôt sans doute, des hommes, déjà issus de femmes artificiellement fécondées, inventeront-ils les procédés d'une procréation entièrement artificielle celle-ci. Il faut peu de chose maintenant pour y arriver. Ces hommes trouveront certainement aussi le moyen de se nourrir d'une pastille alimentaire. S'il reste alors sur la terre quelqu'un pour se moquer, celui-là pourra goûter l'ironie de voir le matérialisme qui aura été si amoureux de la science, trahi par elle, non seulement dans ses rêves, mais encore dans ses réalités. Pratiquement en effet, confinant le bonheur à ce bas monde, le matérialisme réduit en fin de compte ce bonheur à la satisfaction des sens. Or, en fait de satisfaction des sens, que restera-t-il donc quand la science les aura frustrés des plaisirs si vifs dont la nature a orné les principaux actes que doivent faire les hommes pour se conserver, afin de les pousser constamment à les accomplir ; autrement dit, quand la science aura généralisé la fécondation artificielle au nom de l'eugénisme, et mis au point le comprimé de vitamines au nom de l'économie ? De la sorte, le matérialisme qui a tout promis aux hommes, au total ne leur laisserait rien. Et ici réapparaît le rôle de la démocratie.
Cet avenir, les progrès de la science en ont mis les instruments aux mains de la folie démocratique. Il sera aussi facile à l'Etat démocratique de s'en servir qu'il est loisible au dément de se suicider. Si l'instinct, réagissant et s'insurgeant avec violence, ne lui oppose pas des règles morales et des préugés très forts, l'humanité, pour autant qu'elle survivra à ses entreprises, dégénèrera complètement. Aussi bien sommes-nous avertis depuis longtemps.
La transformation démocratique des êtres selon J. J. Rousseau.
"
Celui qui ose entreprendre d'instituer un peuple, dit Jean Jacques Rousseau,
doit se sentir en état de changer pour ainsi dire la nature humaine, de transformer chaque individu, qui par lui-même est un tout parfait et solitaire, en partie d'un plus grand tout dont cet individu reçoive en quelque sorte sa vie et son être ; d'altérer la constitution de l'homme pour la renforcer ; de substituer une existence partielle et morale à l'existence physique et indépendante que nous avons reçue de la nature. Il faut, en un mot, qu'il ôte à l'homme ses forces propres pour lui en donner qui lui soient étrangères, et dont il ne puisse faire usage sans le secours d'autrui. Plus ces forces naturelles sont mortes et anéanties, plus les acquises sont grandes et durables, plus aussi l'institution est solide et parfaite ; en sorte que si chaque citoyen n'est rien, ne peut rien que par tous les autres, et que la force acquise par le tout soit égale ou supérieure à la somme des forces naturelles de tous les individus, on peut dire que la législation est au plus haut point de perfection qu'elle puisse atteindre." (Contrat social, livre II, Ch. VII)
Mais la nature humaine se prêtera-t-elle à ce que l'esprit soit vidé de sa substance pour être remplie d'une autre ? Le souvenir du passé, écrit sinon parlé, quelques vestiges de tradition peut-être, ne risquent-t-ils pas de retenir le consentement de l'individu, de le détourner, de le faire s'insurger ? Quelques pages plus loin, Rousseau répond à cela d'un mot bref et terrible : "L'horreur du passé tient lieu d'oubli."
(Contrat social, livre II, Ch. VIII)
Le suicide social.
Les passions qui mènent le monde sont les instruments du destin et le moteur de ses œuvres. Ces sous ce jour qu'apparaît la démocratie. A l'échelle sociale, l'homme moderne sur la terre, dans l'ordre vivant, n'a rien au-dessus de lui pour le détruire s'il s'attarde quand son heure a sonné. Aussi la nature a-t-elle fait en sorte qu'en pareil cas il se suicide. La démocratie est le mal cérébral, la passion, qui le pousse à accomplir ce suicide. Or le suicide c'est la mort ; mais la mort d'un être simple ou collectif, c'est la décomposition d'une formation en des éléments destinés à se regrouper selon des combinaisons à la fois nouvelles, analogues, et différentes. Dans le cas présent, la démocratie apparaît précisément comme l'agent de la décomposition d'une civilisation, d'un groupe de sociétés dont cette civilisation comporte notamment l'éthique et dont les éléments dissociés fourniront la matière d'autres sociétés tant qu'il s'en formera dans le monde. Ces sociétés évolueront à leur tour, modifiées dans une mesure plus ou moins grande, mais obéissant toujours aux lois fondamentales de la nature. Et ces dernières sociétés, quelles qu'elles soient, ne deviendront peut-être pas forcément démocratiques pour mourir, mais elles seront à leur manière certainement aristocratiques pour vivre.
La science et les lois fondamentales de la nature.
Que deviendra alors le lien conjugal qui est le principe de la famille ? Ces deux conceptions : mariage et famille, dans le sens où nous les entendons, survivront-elles à la destruction démocratique ; ou bien cette destruction démocratique aura-t-elle préparé une organisation de l'Etat qui a été préconisée dans l'Antiquité et qui a fonctionné en Perse et ailleurs il y a vingt-cinq siècles ? Cette organisation de l'Etat reprendra-t-elle corps sous une forme compliquée par les applications de la science moderne, c'est-à-dire plus générale, plus étroite et répondant, tant bien que mal, aux infirmités d'un âge plus avancé de l'humanité ? Car, pour voyantes, pour agressives que soient les conséquences de ses découvertes et de ses applications, la science moderne n'apporte rien d'essentiellement nouveau dans l'ordre fondamental et, sous peine de commettre une grave erreur, il faut se garder de lier l'existence de la démocratie à l'exubérance du développement scientifique actuel.
Pour l'heure, un fait s'impose qui peut s'énoncer ainsi : le lien conjugal est sacré ou il n'est pas. Le mariage civil n'est qu'une formalité administrative : l'enregistrement d'un concubinage particulier auquel la loi impose certaines formes et qui ne se conçoit pas sans l'enregistrement de la cessation de ce concubinage, c'est-à-dire sans le divorce, qu'un reliquat d'habitudes chrétiennes soumet encore à la complication d'un jugement, inexplicable sans cela. Le mariage civil constitue donc une simple étape sur la pente de la promiscuité socialiste et du stuprum. En bonne logique, le préugé n'a de raison d'être qu'à l'égard du sacrement. Là où il n'y a pas sacrement, il n'y a pas mariage. Si l'on nie les lois de l'Eglise, l'emploi de la formalité administrative de l'union conjugale ne doit être envisagée que du point de vue pratique, selon les effets civils qu'elle entraîne et le plus ou moins d'avantages qu'il y a de les produire. Lors donc que le mariage civil a été institué, le principe même du mariage (et donc de la famille) était frappé à mort. Durant plus d'un siècle, des préjugés sociaux déclinants mais encore très forts, ainsi que des préjugés mondains intransigeants, conservèrent quelque façade à un état qui n'était que transitoire et ne pouvait plus faire illusion à qui réfléchissait. Cependant, l'espèce de considération - fort peu distinguée il est vrai - dont, grâce à la similitude du nom et à la déviation "laïque" de la raison, jouissait le mariage civil par opposition à l'union libre, aux yeux du commun de ce que l'on appelle les gens d'ordre, acheminait forcément les esprits vers l'absence de tout préjugé à cet égard. Elle les conduisait subrepticement à admettre plus ou moins le concubinage pur et simple en l'absolvant au nom de quelques sophismes désormais accrédités. En fait, quand, après un long détour, on acheva l'œuvre que la Révolution avait conçue complète, en instituant, ou pour mieux dire, en rétablissant finalement le divorce qui mit à peine quelques lustres à entrer définitivement dans les mœurs, l'antique lien conjugal fut cette fois tranché sans retour. Présentement, ce qui subsiste n'est plus qu'une association précaire et anarchique des deux moitiés de l'être humain désormais juxtaposées sur le plan d'une égalité théorique complète qui, en interdisant toute fusion réelle entre eux, les frappe de l'impuissance radicale à fonder un foyer respectable et à former une famille digne de ce nom.
Motifs de la contrainte démocratique.
De son côté, si anti-naturelle soit-elle au sens banal du mot, la démocratie cependant ne doit pas être considérée comme contraire aux lois de la nature dont on ne saurait concevoir qu'elle soufre dans son système une force qui lui soit extérieure et moins encore opposée. La démocratie est simplement contraire à la vie sociale. Odieuse pour cela à ceux que leur bon sens avertit et dont l'instinct est conservateur de la vie sociale, elle n'en accomplit pas moins, philosophiquement parlant, une fonction de ce monde, comme la maladie. Seulement, comme la maladie aussi, elle mobilise, dès qu'elle se révèle, les forces combatives de la vie, qu'elle cesse de pouvoir tromper avant de les avoir encore assez profondément atteintes. Sentant donc qu'un moment viendra où elle devra compter avec cette réaction, elle met dès l'abord tous ses soins à désarmer d'avance les forces qui s'opposeraient à ses progrès sinon à son existence même. Cela explique pourquoi, dans la véritable démocratie, la contrainte est partout.
Exemples tirés du Contrat Social.
Survenu dans la période d'incubation où la société, se prêtant sans peine à être bientôt dissociée, ne voyait dans sa division que l'appel irrésistible de la personnalité individualiste définitivement affirmée et à jamais grandie, Jean Jacques Rousseau n'a pas caché le dessein suprême de la démocratie d'anéantir au contraire la personnalité de l'individu au profit de la collectivité. Le style cristallin de sa plume géniale indique clairement les étapes que sa pensée morbide et son imagination frénétique assignent à l'asservissement le plus inhumain que l'on puisse concevoir. Il annonce d'abord que : "
l'Etat, à l'égard de ses membres, est maître de tous leurs biens."
(Contrat Social, Livre I, Ch. IX.). D'ailleurs : "
comme la nature donne à chaque homme un pouvoir absolu sur tous ses membres, le pacte social donne au corps politique un pouvoir absolu sur tous les siens."
(Contrat Social, Livre II, Ch. IV.). Il convient donc de faire : "
en sorte que chaque citoyen soit dans une parfaite indépendance de tous les autres et dans une excessive dépendance de la cité."
(Contrat Social, Livre II, Ch. XII.). Car, "
dans la législation parfaite, la volonté particulière ou individuelle doit être nulle."
(Contrat Social, Livre III, Ch. II.). Au citoyen, d'autre part, on apprend qu'il n'a fait : "
qu'un échange avantageux d'une manière d'être certaine et précaire contre une autre meilleure et plus sûre, de l'indépendance naturelle contre la liberté, etc..."
(Contrat Social, Livre II, Ch. IV.); et s'il conserve un doute : "
on le forcera à être libre."
(Contrat Social, Livre I, Ch. VII.). Enfin, dans le paroxisme de son redoutable délire, il écrit incidemment que : "
où le droit et la liberté sont toute choses, les inconvénients ne sont rien."
(Contrat Social, Livre III, Ch. XV.) et il parle de ce qui est nécessaire : "
afin que les peuples soumis aux lois de l'Etat comme à celles de la nature, et reconnaissant le même pouvoir dans la formation de l'homme et dans celle de la cité, obéissent avec la liberté, et portassent docilement le joug de la félicité publique."
(Contrat Social, Livre II, Ch. VII.).
La démocratie, l'artificiel et le dimorphisme.
Cette contrainte démocratique - les textes ci-dessus le prouvent assez - prétend établir une société où tout soit artificiel. Cependant, impuissante à faire autre chose que détruire, la démocratie n'établira rien, pas plus l'artificiel que le retour à un état de nature imaginaire, qu'en son incohérence familière elle prône également à ses heures. Seulement, par son action toujours négative, elle aura opéré les décompositions nécessaires pour que les destins s'accomplissent. Et selon toute apparence, l'artificiel, indépendant de la démocratie et insensible à sa disparition, ira s'accentuant, se compliquant dans la vie humaine jusqu'à ce que le holà soit mis à ses excès, soit par une destruction générale, soit par la destruction partielle de l'homme dans certaines de ses facultés, en sorte que l'humanité raréfiée connaisse une fin de vieillard en enfance, vivant à nouveau de la façon la plus primitive parmi les ossements de machines dont elle aura oublié le secret et l'usage, voyant autour d'elle les ruines et la ferraille disparaître sous la végétation et les lianes, ensevelies sous la revanche des éléments triomphants.
Quoi qu'il en soit, l'artificiel affecte si directement le dimorphisme humain et donc la petite société, image de la grande, constituée de l'association d'un homme et d'une femme, des deux moitiés de l'être humain, qu'il est apparu comme le lieu, dans ce chapitre, d'aborder les rapports de la démocratie avec l'avenir de ce dimorphisme.
(1) Cette disposition moins marquée dans les hautes classes, s'accentue fortement en descendant l'état social.
(2) Depuis 1917 l'intempérance anglo-saxonne a introduit dans le vieux monde cette néfaste manie des cocktails qui a fait pulluler les bars. Désormais les hommes de la bourgeoisie se sont mis progressivement à boire comme le peuple buvait précédemment ; et les hommes ont entraîné les femmes à l'alcoolisme, tout comme, au lendemain de la guerre, dans un vertige de désordre et de lubricité, ils se sont déshonorés au point d'associer aux derniers égarements de la débauche des femmes qui n'étaient point galantes et qui souvent étaient les leurs.
(3) Les faibles se rencontrent tous dans les mêmes faiblesses. C'est ainsi que le peuple, qui ressemble aux femmes à tant d'égard, fait tour à tour le fier et l'humble. Il se proclame majeur, conscient, etc..., pour réclamer les bénéfices d'une maturité pleine de sagesse ; puis, dès qu'il souffre trop vivement des sottises qu'il a exigé le droit de faire, il s'excuse sur son ignorance, sur sa faiblesse naturelle ; il geint qu'il est toujours trompé, éternellement dupe, et il réclame le secours de l'assistance que la charité doit aux incapables. C'est alors, quand il vote, qu'il vote à droite, pour des gens qui, élus, vantent sa sagesse retrouvée, et s'empressent chaque fois de tout gâcher. Ils mettent généralement un peu d'ordre, remplissent plus ou moins la caisse, et se font bientôt chasser. Il est à noter que ces alternatives décadentes jouent selon les besoins du désordre et toujours à son profit. Il en va exactement de même avec les femmes.